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 Au début du XXème siècle, l’espérance de vie moyenne en France était de 500 000 heures (1), dont 200 000 passées à travailler, autant à dormir, et 100 000 à vivre (ne « rien » faire, étudier, s’amuser, aimer…). Un siècle après, on est passé à 700 000 heures d’espérance de vie. On dort toujours 200 000 heures, mais 3 heures de moins environ par nuit à cause de la télé. La durée légale du travail n’est plus que de 67 000 heures. Le temps passé à vivre (ne « rien » faire, étudier, s’amuser, aimer…) est aujourd’hui, grosso modo, de 400 000 heures. On passe la majorité de notre temps à faire autre chose que dormir et travailler. Ah ! La France ! « Glücklich wie Gott in Frankreich ! » (2) comme, depuis longtemps, le disent les allemands.

Fileuses Maroutine Félix Arnaudin

Fileuses à Maroutine - Félix Arnaudin coll Musée d'Aquitaine

Glücklich, glücklich, c’est vite dit. Ce n’était pas tout à fait l’avis de nos femmes de la lande, épouses de métayers, au début du siècle passé, levées avant les poules et la pointe du jour, couchées après elles et à la nuit tombée. Avant la moindre clarté dans le ciel, elles ravivaient le feu couvant sous les cendres grises de la veille, pour préparer le casse-croûte que les hommes emporteraient au travail et les enfants à l’école. Elles enchainaient par le passage à l’étable, ou directement au champ pour le seigle et le maïs. Avant l’ouverture de la saison de gemmage, elles allaient le matin donner la main à l’écorçage des pins. Puis de retour à la maison elles préparaient le repas, avant de faire le ménage, de s’occuper des bêtes…Le soir après le repas c’était les travaux de couture, de reprisage, de tricotage, de repassage, au coin du feu.  A cela s’ajoutait l’éducation des enfants, la gestion des comptes de la métairie…Leur présence était aussi fréquente pendant les campagnes de gemmage. Elles portaient la couarte (3) jusqu’aux barriques au bout du quai où la mule et le bros viendraient les chercher, certaines gemmaient avec leurs maris à l’aide d’outils plus légers.

Bargayres Janoutrac Félix Arnaudin

Bargayres à Janoutrac-Félix Arnaudin coll Musée d'Aquitaine

Toutefois, la reconnaissance des femmes dans les activités agricoles ou forestières de la métairie n’a jamais été acquise, et les propriétaires, malgré la revendication des syndicats, n’ont jamais accepté de payer les cotisations sociales correspondant pourtant à un réel travail de production. Leur départ à la retraite s’effectua alors sur la base de pensions misérables. Les contrats de métayage tenaient pourtant un compte scrupuleux des journées de corvées qu’elles devaient, gratuitement, au domicile des propriétaires. Les redevances (œufs, chapons, cochon…), prévues également au contrat, étaient aussi le fruit de leur travail. Pour les propriétaires, mais aussi plus généralement pour la société, il s’agissait là de tâches secondaires, pour ne pas dire ménagères, par nature pour eux féminines, et en aucun cas d’une activité de production relevant d’un partage du travail sur l’exploitation.

Moissons Marqueze

La moisson à l'écomusée de Marquèze

Attachées par leurs activités à la métairie elles avaient moins que les hommes l’occasion de franchir régulièrement les limites du village, voire pendant longtemps, du quartier. Un bal ou deux au village ou au quartier voisin pour trouver l’âme sœur c’était bien là le bout du monde où les amenaient leurs sabots, avant que le progrès ne vienne mettre son grain de sel. Le vélo en premier ouvrit des horizons nouveaux et permit de gagner du temps sur les déplacements, de s’attarder un peu plus chez la voisine, d’économiser sa peine. L’arrivée d’installations de confort dans les maisons facilita aussi leurs tâches. Le poêle à bois, qui permettaient de chauffer la maison et de cuisiner, se répandit avec le catalogue de Manufrance et à mesure avec les conditions économiques s’amélioraient un peu. L’outillage se modernisa. Des inventeurs fertiles comme Monsieur Claudine à Sabres, méritèrent bien des métayers et de leurs femmes, pour s’être penché sur leur peine et l’avoir allégée par ses mécaniques. 

tressage ecomusee marqueze

Tressage pour la confection de chapeaux (A découvrir les 26 et 27 mai 2018)

Pourtant, le soleil les trouvait toujours debout et les poules ne les voyaient toujours pas se coucher. Certes l’habitude des journées de travail interminables était fortement ancrée, mais à la pénibilité de la vie correspondaient surtout des conditions économiques extrêmement dures auxquelles elles devaient faire face en multipliant les activités de production. « Faire venir les poussins » pour renforcer le rendement de la basse-cour et faire du troc avec l’épicier. Vendre le lait (4) aux voisins et au laitier…Alors le temps consacré à s’amuser, à ne rien faire…, se limitait à quelques foires par an, et encore fallait-il en mettre un coup la veille pour y aller le dimanche.  

C’est bien plus tard, dans les années soixante, que quelques nouveautés marquantes se répandirent dans les campagnes. Mais ceci est une autre histoire.

(1) Selon la manière de compter du sociologue Jean Viard, qui prend en considération un stock d’heures et non une durée : « Nouveau portait de la France » Editions de l’Aube 2013

(2) « Heureux comme Dieu en France ».Expression allemande courante, évoquant un certain art de vivre, mais dont l’origine est disputée.

(3) Récipient destiné à « amasser » la résine récoltée dans les pots, ce travail se faisaient toutes les 3 semaines environ.

(4) Après la généralisation du gemmage, une part agricole est restée dans l’activité des métayers ; les vaches ont fait leur apparition dans de nombreuses métairies.

RETROUVEZ LE PROGRAMME DES 26-27 MAI CONSACRÉS AUX TRAVAUX RÉALISÉS PAR LES FEMMES DANS LES QUARTIERS LANDAIS.

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