Points de vue couleurs de cendres
Par David Escarpit
Chargé des expositions et de la recherche
à l'Écomusée de Marquèze
Crédits photo : Collectif LesAssociés
Éloge des voleurs de regards
Du 1er avril au 30 septembre 2025, l’Écomusée de Marquèze vous propose de découvrir l’exposition 600° du collectif de photographes LesAssociés, au Pavillon des Landes de Gascogne, sur le thème des incendies qui ont ravagé le massif landais à l’été 2022, plus particulièrement sur l’après et l’à venir.
L’exposition s’axe autour de deux salles, selon une axialité étonnante, diagonale, axialité désaxée qui invite à prendre la tangente par les chemins buissonniers, au détriment de l’évidence des lignes simples et épurées de l’espace muséal.
Une colonne vertébrale de palettes issues de la filière bois des Landes structure le haut volume en deux espaces, conduisant vers un troisième.
Sur la droite est évoqué le regard vernaculaire, celui des gens du territoire : particuliers, badauds, professionnels, élus, certains dans l’émotionnel, d’autres dans l’analytique voire dans la dénonciation. Leurs mots et leurs images, en vision subjective, défilent.
Le long de la ligne de crête structurante, la dorsale des palettes, apparaissent les portraits de plusieurs d’entre eux.
De l’autre côté, c’est l’univers des médias et de ses news, plus ou moins fraîches, voire franchement jaunâtres, s’étalant en « unes » du grand quotidien régional Sud-Ouest, questionnant la surabondance d’infos de ce monde en voie de saturation et d’étouffement par facilité d’accès, une sorte de quiétisme narcoleptique.
L’aspect ethnologique de l’incendie, vieux compagnon de la Lande, n’est pas oublié. Une ligne d’objets brûlés lors des feux de 2022, prêtés par le musée de La Teste de Buch dans toute l’impudique brutalité de leurs stigmates carbonisés, double en parallèle la dorsale des palettes d’une diagonale des cendres. Plusieurs objets provenant du musée de l’Estupe-Huc, à Luxey, évoquent l’ancienneté de la lutte contre l’incendie ici, et l’ingénierie de territoire, à la fois naïve et grandiose, qui en a découlé. C’est d’ailleurs par une imposante pompe à bras du début du XXe siècle que le visiteur est accueilli.
Mais l’ethnologique lui-même refuse de s’opposer au subjectif de la thématique : les photos du grand Émile Vignes, datant des années 1930-40, forment un carroyage pictural tout mêlé de grandes amnésies blanches, de redites agaçantes, de faux souvenirs… Vignes lui-même, dont l’oeuvre, comme son illustre prédécesseur Arnaudin, unit à merveille le témoignage historique au parti-pris esthétique à la mise en scène, est questionné sur son rapport à la mémoire.
Pointée du doigt, la seconde salle présente une œuvre originale d’Alexandre Dupeyron, un des artistes du collectif : Janus. Surgissant du béton lavé dans un amas de sable détritique, ce moulage d’un tronc brûlé pendant l’incendie questionne impudiquement une esthétique de la minéralité, tant calcinée qu’industrielle, comme origine et fin du monde : carbone contre ciment. Dans cet espace, les regards se font plus subjectifs encore, esthétisés et transcendant dans la nuit ou des éclats de couleurs, sur kraft ou sur matière plastique, le regard allumé, habité d’artistes sur le grand-oeuvre du feu.
En passant, l’oeil aura accroché ces longs pendus noirs la tête en bas : la Forêt inversée, autre œuvre d’Alexandre Dupeyron, conçue sur place pendant la préparation et le montage de l’exposition et mise au point par étapes forcées en moins de 5 secondes, questionne par sa radicalité presque brutale : ces jeunes pins calcinés attachés à l’extérieur de la verrière de la salle d’exposition suivent l’idée que, si le feu suit l’homme, c’est que celui-ci se sert probablement moins de sa tête pour penser que pour marcher. Les pins ne marchant pas sur la tête, ceux-ci oscillent au vent d’ouest, indiscrets voyeurs derrière leur fenêtre.